L'Étreinte Mortelle Du Hezbollah: Le Prix Du Choix Des Ennemis Plutôt Que Des Allié

Cet article examine les causes profondes du déclin du Hezbollah au Liban, en mettant l'accent sur les erreurs politiques et les alliances infructueuses qui ont conduit à la perte de son soutien populaire et politique au Liban et dans le monde arabe. Il propose une vision prospective de la possibilité de reconstruire la légitimité du parti à travers une révision audacieuse de ses politiques et l’adoption d’un discours plus inclusif.

Bilal Nour Al Deen

6/18/20256 min temps de lecture

Il y a une part de tragédie inévitable dans l'effondrement récent de la puissance du Hezbollah au Liban – une histoire qui ne se résume pas à une défaite militaire, mais qui incarne une erreur politique fatale et une occasion manquée. Pendant des décennies, le Hezbollah fut « la force invincible au Liban », jusqu’à devenir un acteur régional à part entière, engagé dans la guerre en Syrie aux côtés du régime de l’ancien président Bachar al-Assad, puis dans les combats aux côtés du Hamas lors du « Déluge d'Al-Aqsa ». Aujourd’hui, après l’affaiblissement de ce qu’on appelait l’« axe de la résistance », le parti est épuisé, son infrastructure militaire détruite, ses alliances politiques désintégrées, et sa base populaire traverse une profonde désillusion.

Comment en est-on arrivé là ?


La réponse ne réside pas uniquement dans la pression constante d’Israël et de l’Occident, ni dans les mutations géopolitiques du Moyen-Orient, mais dans l’erreur colossale commise par le Hezbollah : il a choisi, en réalité, de s’allier à ses anciens adversaires, transformant ainsi ceux qui auraient pu être ses alliés naturels en ennemis déclarés. Le parti a ainsi perdu le terrain moral et politique sur lequel il s’était jadis solidement établi.

L’illusion des alliances stratégiques

Au cours des vingt dernières années, le Hezbollah a noué des alliances avec des acteurs clés de la scène politique libanaise, notamment le Courant patriotique libre (CPL) dirigé par Michel Aoun, aujourd’hui présidé par le député Gebran Bassil, ainsi que le chef du courant Marada, Sleiman Frangié, fier de sa relation avec le régime syrien de Bachar al-Assad. L’accord signé en 2006 entre le Hezbollah et le courant chrétien de Michel Aoun fut considéré comme un coup de génie, un symbole d’unité nationale dans un pays déchiré par le confessionnalisme.

Mais cette alliance fut toujours un pacte d’intérêt, et non d’idées. Michel Aoun a accédé à la présidence en 2016, tandis que le Hezbollah bénéficiait d’une couverture politique pour ses armes — ce que les deux camps n’ont jamais reconnu ouvertement. Le coût de ce compromis a été élevé : en s’alliant avec le CPL et d’autres composantes du 8 Mars, le Hezbollah a aliéné des forces qui auraient pu le rejoindre dans un projet souverain et réformiste — indépendants, réformateurs, sunnites et chrétiens modérés. Plutôt que de devenir un moteur de réforme, il s’est figé dans le rôle de pilier d’un système politique fondé sur le clientélisme. La crise économique de 2019 a exacerbé les tensions : le CPL a commencé à se distancer du Hezbollah, l’accusant de bloquer les réformes et la construction de l’État. Les partisans du Hezbollah, eux, accusent Bassil d’avoir rompu l’alliance pour séduire les Américains, qui l’ont sanctionné en 2020 sous le « Magnitsky Act » pour corruption. Bassil déclara plus tard pendant la guerre de soutien : « Cette guerre, nous ne la voulions pas. Ils (le Hezbollah) ne nous ont pas écoutés, car ils sont liés à des forces extérieures. »

Quant à Frangié, l’histoire est différente. Le Hezbollah, avec le soutien du mouvement Amal, s’est battu pour le faire élire président. Le défunt secrétaire général Hassan Nasrallah fut même accusé de bloquer l’élection présidentielle pour lui. Il le qualifiait un jour de « l’un de ses yeux ». Fort de cet appui, Frangié s’est cru inévitablement président, affirmant à deux reprises pendant la guerre de 2023–2024 que les ennemis de l’axe de la résistance devaient se préparer à la défaite. Mais les vents de la guerre ne lui furent pas favorables. Le coup de grâce fut la chute du régime d’Assad, peu après la signature d’un accord de paix entre le Liban et Israël à la fin de 2024, qualifié par certains d’« humiliant ». Frangié, fidèle allié du Hezbollah et de la Syrie, changea alors radicalement de ton et appela publiquement au désarmement du Hezbollah — mot tabou pour sa base. Son fils, le député Tony Frangié, jugea que la guerre d’octobre 2023 « n’avait apporté que ruine » et appela à une « résistance par la technologie ». Le Hezbollah s’est ainsi piégé lui-même, se retrouvant relativement isolé politiquement, confronté à des défis internes et à une perte d’influence, contraint de participer à un gouvernement largement perçu comme pro-américain, portant le poids d’une alliance toxique devenue malédiction.

Créer des ennemis gratuitement

Le soulèvement du 17 octobre 2019 fut un tournant. Des Libanais de toutes confessions et régions se sont unis contre une classe politique corrompue. Le Hezbollah se retrouva face à un choix crucial : se ranger du côté du peuple ou défendre le système. Il choisit ce dernier. Le défunt Nasrallah appela à cesser les manifestations, tandis que ses partisans furent accusés d’actes d’intimidation contre les protestataires. Le parti se plaça donc, aux yeux de nombreux observateurs, du côté du pouvoir, non de la rue.

Ce ne fut pas une simple erreur de communication, mais une faute stratégique majeure. En refusant la réforme et en s’opposant au soulèvement populaire, le Hezbollah a tourné le dos à ceux qu’il prétendait défendre. Sa légitimité issue de la résistance fut remise en question, et il fut de plus en plus associé à un régime corrompu et confessionnel.

Le bourbier syrien

Mais la plus grande erreur fut l’implication du Hezbollah en Syrie. En 2013, il envoya des milliers de combattants pour défendre le régime Assad. Il cessa alors d’être un mouvement de résistance libanais pour devenir, selon beaucoup, un instrument régional entre les mains de Téhéran, destiné à préserver l’axe Iran-Beyrouth. Ce choix eut des conséquences désastreuses : il creusa les divisions sectaires, aliéna les sunnites libanais et arabes, et exposa le parti aux frappes israéliennes. En fin de compte, il ne put pas sauver Assad, plus soucieux d’écraser son propre peuple que de préserver le sang versé pour le maintenir.

Les positions ultérieures du Hezbollah ont aggravé le fossé avec les sunnites — pourtant des alliés idéologiques naturels. Son discours est devenu de plus en plus sectaire, centré sur la défense des intérêts chiites, selon de nombreux analystes. Alors qu’il était autrefois adulé dans le monde arabe pour son opposition à Israël — son chef dont les portraits ornaient les murs des foyers arabes après 2006 —, il est devenu une force ambiguë, soutenant certaines révoltes arabes tout en réprimant d'autres. Ce glissement confessionnel a fragilisé l’unité chiite-sunnite, et éloigné les sunnites sur les plans politique et social. Le Hezbollah en a payé le prix, affaibli au Liban et isolé dans le monde arabe.

Avec la chute d’Assad fin 2024, le Hezbollah a reçu un coup dur. Il a perdu son axe terrestre stratégique pour les armes et le financement, et un allié politique essentiel. Le parti se retrouve orphelin, cette fois à l’échelle régionale, alors que le régime iranien vacille sous les frappes israéliennes.

Une nouvelle chance est possible

Malgré tout, le Hezbollah peut encore restaurer une partie de son image et regagner une légitimité perdue, notamment en ouvrant une nouvelle page avec la rue sunnite libanaise. Mais cela exige une autocritique franche et publique de ses erreurs, au Liban comme à l’étranger. Car demander pardon n’est pas un signe de faiblesse, mais une condition pour rétablir la confiance avec les communautés libanaise et arabe. Il devra également abandonner le discours sectaire et adopter une approche plus inclusive et pragmatique. À travers cette révision sincère et une stratégie tournée vers l’unité, le Hezbollah pourrait reconstruire de nouvelles alliances, retrouver un rôle national représentatif, et briser son isolement actuel.

Le jugement de l’histoire

L’histoire ne jugera pas le Hezbollah uniquement sur les batailles menées ou gagnées, mais aussi sur les occasions précieuses qu’il a gaspillées — occasions qui auraient pu changer le cours de sa trajectoire politique et militaire. En s’alliant avec ses anciens ennemis et en tournant le dos à ses alliés potentiels, il a perdu le bien le plus précieux : la confiance du peuple libanais, et avec elle celle des Arabes sunnites, qui l’avaient longtemps considéré comme un symbole de résistance et de dignité. Cette perte de confiance ne constitue pas seulement une défaite politique, mais une blessure profonde dans sa légitimité. L’avenir du Hezbollah, autrefois perçu comme assuré et dominant, semble désormais suspendu à un fil fragile, en proie à des incertitudes et à des défis multiples. Son histoire devient une leçon pour tous ceux qui confondent pouvoir et légitimité, et qui croient que la seule force militaire suffit à maintenir l’influence. Car la légitimité populaire demeure le fondement indispensable de tout projet politique durable.